« Exercer le métier de journaliste est devenu difficile en Tunisie », ne cessent d’alerter depuis plusieurs mois les organisations de défense des libertés. Si la révolution a apporté un air de liberté aux médias tunisiens, aujourd’hui les journalistes mettent en garde contre une régression de la liberté de la presse, ce qui s’explique par plusieurs menaces et pressions exercées contre ces professionnels de l’information.
Le dernier rapport publié par le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) confirme ce constat, puisqu’en l’espace d’une seule année, 232 agressions contre des journalistes ont été recensées.
En effet, dans son rapport annuel publié dernièrement, couvrant la période comprise entre le 15 octobre 2021 et le 15 octobre 2022, le Snjt explique que les journalistes agressés travaillaient en particulier sur des sujets politiques (77 cas), suivis de sujets à caractère social (42 cas), de sujets liés aux élections (39 agressions), de sujets à caractère économique (17 cas), de sujets à caractère sécuritaire (11 cas) et des sujets sportifs (11 cas).
L’unité de monitoring au sein du syndicat qui a élaboré ce rapport précise que parmi ces agressions, 151 ont été commises par « des parties officielles ».
Le Syndicat des journalistes appelle, dans cette optique, le gouvernement à condamner publiquement les atteintes à la liberté de la presse et à la liberté d’expression et à éviter le discours d’incitation à la violence contre les journalistes.
Il réclame, également, le retrait des textes qui représentent « une atteinte à la liberté d’expression et à la liberté de la presse », en particulier le décret-loi n° 2022-54 du 13 septembre 2022 relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication.
Parallèlement, le président dudit syndicat, Mohamed Yassine Jelassi, n’a pas caché ses craintes de voir la liberté d’expression et de presse régresser davantage en Tunisie. Expliquant que le nombre de ces agressions a doublé en 2022, il dénonce l’intimidation envers les journalistes et l’impunité policière devenues, « une politique d’Etat ».
« Les agressions contre les journalistes ont doublé en 2022 en Tunisie. Le syndicat enregistre quotidiennement des agressions contre eux. La majorité de ces violences sont commises par la police et sont de nature à entraver le travail des journalistes et ce, dans une impunité totale », a-t-il noté. Et de rappeler que selon le classement 2022 de Reporters sans frontières (Indice de la liberté de la presse par pays), la Tunisie occupe désormais la 94e place alors qu’en 2021, elle était classée 73e.
L’Etat appelé à protéger les journalistes
Au fait, le Snjt incombe la régression du classement de la Tunisie surtout à la baisse des indicateurs de la liberté de la presse, la fréquence élevée des violations contre les journalistes, des procès et des arrestations, la poursuite des comparutions des civils devant la justice militaire, le manque de communication du pouvoir en place et l’atteinte au droit des citoyens à l’information et à connaître le sort de leur pays.
Si l’Etat représenté par le Président de la République a réaffirmé à plusieurs reprises son « total engagement à garantir le droit à la liberté d’opinion et d’expression dans tous les espaces et à aller de l’avant pour garantir une presse libre et responsable, étant donné qu’elle constitue le fondement de tout système démocratique », des dérapages continuent d’avoir lieu.
Mais ce ne sont pas seulement les agressions qui inquiètent les journalistes, mais aussi les nouveaux textes qui peuvent restreindre leur activité. On cite particulièrement le décret 54 qui prévoit une peine de prison de cinq ans et une amende de 50.000 dinars pour toute personne «qui utilise délibérément les réseaux de communication et les systèmes d’information pour produire, promouvoir, publier ou envoyer de fausses informations ou des rumeurs mensongères ».
Sitôt publié, l’article a provoqué une levée de boucliers, notamment de la part des journalistes qui craignent un dispositif juridique réprimant les libertés. Le Syndicat des journalistes avait appelé le Président de la République, dans un communiqué, à retirer ce décret pour éviter toute atteinte à la liberté d’expression. Le syndicat estime que la Tunisie connaît une tendance à instaurer des mécanismes juridiques visant à restreindre les libertés.
Un contexte mouvant !
Depuis la révolution de 2011, la Tunisie connaît une transition démocratique à rebondissements ayant considérablement bouleversé le champ médiatique. En effet, le paysage médiatique s’est considérablement diversifié, mais la crise économique et les influences politiques ont fragilisé l’indépendance de nombreuses rédactions, dominées par des intérêts politiques ou économiques, et a mis à mal ce pluralisme naissant.
Il faut dire aussi que les intimidations envers les journalistes se banalisent, et les reporters et correspondants sont confrontés à la violence des manifestants tunisiens. Un nouveau cap a été franchi le 14 janvier 2022, lorsque des correspondants ont été passés à tabac pendant qu’ils couvraient une manifestation.